Coronavirus : le point sur la situation au Népal, avec David Ducoin et Paulo Grobel

David Ducoin est membre de la Société des Explorateurs Français et chef de secteur Himalaya chez Tamera, la branche aventure du voyagiste français Secret Planet. Paulo Grobel est guide de haute montagne, fin connaisseur du Népal, et travaille pour leur filialeExpeditions Unlimited, la seule en France à proposer des expéditions à 8 000 m. 

Alors que le coronavirus a obligé le Népal au confinement, nous avons fait le point avec eux sur les conséquences de cette crise sanitaire sur le tourisme.

Avez-vous des informations actualisées sur la situation au Népal ? 

David Ducoin : Le Népal attendait 2 millions de visiteurs cette année avec une opération « Visit Népal 2020 » et à la place une catastrophe humanitaire se prépare. Oui, nous suivons l’actualité du pays tous les jours :  le confinement initié le 24 mars est annoncé jusqu’au 7 mai. Au 28 avril, il y a 54 cas (sur 11 000 tests) et pas de mort officiellement. Il y a peu de tests faits mais une peur bien présente que le virus fasse des morts à la chaîne car il y a extrêmement peu d’infrastructures de santé.

Pour l’instant il y a beaucoup plus de dégâts dû au confinement qu’au virus lui même. Des bons d’achats de nourriture sont distribués, le pays a assez de nourriture jusqu’en septembre seulement. Les migrants n’ont plus de travail dans les pays du Golfe, mais n’ont pas le droit de rentrer car ils pourraient apporter le virus. Ainsi ils vivent dans la rue sans être payés et parfois sans assez d’argent pour se nourrir. 70 corps de défunts népalais dans les pays du Golfe n’ont pas pu être rapatriés chez eux. 

Beaucoup de gens sont rentrés dans les villages où ils ont un peu plus à manger. Comme il y a 70% environ de la population qui est à la limite du seuil de pauvreté, le pays va sombrer dans la misère si cet automne les voyages ne reprennent pas. En plus du tourisme, le deuxième apport de devises était les travailleurs émigrés (3,5 millions) en Asie du sud-est (Corée, Japon, etc…) et au Moyen-Orient (pays du Golfe). Tous ceux-là ne peuvent plus travailler non plus. Toutes les expéditions ont été annulées ce qui fait que le gouvernement n’a pas touché l’argent des permis qui représente une somme considérable.

La catastrophe économique est déjà présente. Le gouvernement a annoncé une réduction de 10% sur les aliments de première nécessité comme le riz et les lentilles pour permettre aux plus démunis de tenir plus longtemps. Les vols intérieurs et internationaux sont suspendus a minima jusqu’au 15 mai et les frontières terrestres a minima jusqu’au 13 mai. Aucun véhicule sauf de police et ambulance ne peut circuler. La population ne peut sortir que pour acheter aliments et médicaments.

Paulo Grobel : J’ai une petite agence sur place donc je suis en relation régulière avec le Népal. Là-bas, ils sont confinés comme nous, avec des interdictions de déplacement. Il y a ceux qui ont pu rejoindre leur village et ceux qui n’ont pas pu… Bref, la situation est très compliquée, d’autant plus que la proportion de gens fragiles est plus importante. 

Un mot sur votre situation en tant qu’agence opérant sur le territoire népalais? 

David Ducoin : Le Népal a vécu 10 ans de guerre civile qui ont fait plus de 10 000 morts (1996-2006, entre les maoïstes et les monarchistes, ndlr), puis le tremblement de terre de 2015 en a fait presque autant en quelques jours. Malgré cela, le tourisme a toujours été au rendez vous et il ne s’est jamais vraiment arrêté. 

Ce printemps est une vrai catastrophe pour eux et si à l’automne les frontières sont toujours fermées de nombreuses personnes vont mourir de faim. Notre partenaire sur place a commencé à distribuer gratuitement des sacs de riz à ceux qui en ont le plus besoin et qui n’ont déjà plus les moyens de se nourrir. Nous savons fort bien qu’il n’y a ni indemnisation ni chômage donc les guides, les assistants, les porteurs, les cuisiniers qui gagnaient leur année en quelques semaines de travail et nourrissaient des dizaines de bouches avec leur seuls salaire et pourboires ne pourront plus le faire. 

Puis il y a tous les lodges, les hôtels, les restaurants les agences et les transports qui employaient de nombreuses personnes et qui ne le font évidemment plus. Tout comme durant le conflit et après le tremblement de terre, une des meilleurs façons d’aider les Népalais est de retourner au Népal, même si le retour de nos trekkeurs doit naturellement se faire dans des conditions sanitaires parfaites pour ne pas prendre le risque d’ajouter à la catastrophe économique la catastrophe sanitaire (tout l’inverse de nous !). 

En attendant les dons sont évidemment les bienvenus, de nombreuses associations sont présentes et peuvent relayer l’aide. Nous espérons donc que la situation s’améliore, que les frontières s’ouvrent et les vols reprennent. Nous savons bien qu’il y aura peu de monde cet automne au Népal mais si nous pouvons quand même faire quelques départs cela sera toujours un peu d’espoir pour tenir jusqu’à l’année prochaine.

Paulo Grobel : Le printemps, c’est vraiment la grosse période pour les expéditions habituellement. En gros, ils gagnent sur ces mois-là l’équivalent d’un peu plus d’un an de salaire. Sur un 8 000, un grimpeur qui va au sommet gagne à peu près 400 000 roupies (environ 4 000 €, ndlr). Le salaire moyen mensuel pour une famille à Katmandou, c’est 25 000 roupies. 

Globalement, tout est reporté sur l’année prochaine. On a absolument aucune visibilité sur l’automne. Est-ce que les frontières vont être ouvertes ? Est-ce que le secteur du tourisme va être repartir ? Est-ce que les gens vont avoir envie d’y aller ? Aujourd’hui, on ne sait pas. 

Là, on attend le déconfinement sur place pour en profiter pour organiser des expéditions entre Népalais, pour les former. Un message important à faire passer, c’est qu’il faudra continuer à voyager malgré le discours ambiant. Mais ce qui va changer, c’est notre manière de voyager. Je pense qu’on ira plus en Inde pour une semaine par exemple, mais il faut continuer à voyager et à avoir des projets au Népal.